Gouvernance mondiale-Du retard à l’allumage,
Source : Territoires, la revue de la démocratie locale n°462, cahier 2, pp.22-24, 2005
Auteur : Serge Antoine
Pour renouveler la gouvernance mondiale, il serait irréaliste de compter sur les seules institutions. La mondialisation doit être portée, voulue et, en partie, mise en œuvre par les populations et leurs sociétés civiles.
La manière dont on s’y prend pour rénover la gouvernance mondiale n’est pas la bonne. Le dernier rendez-vous, à New-York, en septembre, n’était pas plus probant. On se trompe d’un métro en se focalisant sur la réforme du Conseil de sécurité de l’Onu: course à l’échalote pour faire entrer tel ou tel État de plus dans le cénacle des « grands ». L’enjeu est totalement dépassé, si ce n’est de reconnaître que le tiers-monde n’a pas voix au chapitre comme il le devrait.
S’obstiner à revoir le mandat des grandes institutions n’est pas non plus la bonne méthode. Sans doute peut-on y gagner à disposer, par exemple, d’une plus forte institution pour l’environnement. Mais à la racine, qui est vraiment l’interlocuteur du programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), même réformé? Des ministères de l’Environnement qui, partout dans le monde, ont la faiblesse de leurs moyens ou de leur autorité?
Il serait préférable, plutôt que de se focaliser sur tel ou tel compartiment, de faire travailler en synergie les morceaux que sont le Pnue, la FAO et l’Unesco; toutes ces entités qui ont tendance à vivre leur propre vie pendant que règne en maître sous la bannière de la compétitivité mondiale l’Organisation mondiale du commerce. Ce n’est pas tel outil, morceau de la gouvernance mondiale qu’il convient de réformer, mais la cohérence du système vers la gouvernance planétaire.
Une dimension de la réforme de cette gouvernance mondiale a été peu explorée: il s’agit de l’échelle « régionale ». La planète est, en effet, un gros ballon un peu glissant que l’on arrive difficilement à saisir, même si la mondialisation sous toutes ses formes rend cette approche globale nécessaire. En jouant d’entités plus réduites, on parvient à avoir prise. Ces entités régionales peuvent être (elles tendent à l’être), comme l’Union européenne, institutionnelles. D’autres formes apparaissent qu’il faut encourager, s’il ne s’agit pas seulement de grands «marchés» du type Alena pour l’Amérique du Nord et le Mexique ou de Mercosur pour l’Amérique latine.
Le seul exemple pratiqué jusqu’ici – celui d’une « écorégion »- a été lancé en 1975 pour la région méditerranéenne qui, avec ses 450 millions d’habitants, est composée de quelque vingt États riverains. Elle a, à Barcelone, en 1975, scellé avec l’Union européenne un accord, renouvelé en 1995, sur le thème « le développement durable et ses institutions (le Plan d’action pour la Méditerranée, le Plan bleu …) s’inscrivent sous l’égide des Nations unies»; elle travaille au consensus sans trop de problèmes. Il y a aussi l’entité des Caraïbes et celle qui regroupe, dans le Pacifique, de nombreuses îles menacées par l’effet de serre. On pourrait songer à quelques autres ensembles parmi lesquels l’Afrique sahélienne.
CIVISME MONDIAL
« Le civisme mondial commence à être une composante de poids. Il est significatif d’une nouvelle morale que les jeunes perçoivent beaucoup mieux que leurs aînés. »
La mondialisation voulue, maîtrisée et même salvatrice, ne s’en sortira pas par les seules institutions. Elle doit être portée, voulue et, en partie, mise en œuvre par les populations et leurs sociétés civiles. Il y a là un terreau tout à fait vital. Mais il manque les courroies de transmission et l’embrayage. Il y a, de ce côté, fort à faire pour que les acteurs de toute nature se mobilisent et soient incités à le faire.
Le point de départ, c’est le civisme mondial, et il progresse à pas de géant: les catastrophes, le constat d’une indispensable solidarité, le réchauffement des climats, la médiatisation des antipodes constituent autant de facteurs éminemment moteurs. On se rappellera ici les appels, encore un peu solitaires, des années 70 dans lesquels « l’écologie, la défense de l’environnement, tendent à devenir les fondements d’une nouvelle éthique de l’espèce, fondée sur la connaissance: le moment n’est pas loin où la pollution de la nature deviendra un sacrilège, un acte criminel, même et surtout pour l’athée, du seul fait que l’avenir de l’humanité est impliqué. » (Cheick Anta Diop, Civilisation ou barbarie, 1981) Ou celui de Paul-Émile Victor: « Bientôt, le monde se dotera d’un sens civique planétaire. »
Le civisme mondial commence à être une composante de poids, et lui-même est significatif de l’avènement d’une nouvelle morale que les jeunes perçoivent beaucoup mieux que leurs aînés. Les religions n’ont pas encore pleinement pris la pleine mesure de ce vent porteur, les politiques non plus… La mobilisation de la société civile est une clef tout à fait essentielle pour faire avancer le système. Mais il manque, on l’a dit, l’embrayage.
À commencer par les États. Les sommets internationaux sont des occasions manquées. On fait des États des signataires d’accords, au mieux de « déclarations ». On ne les invite pas à être là pour souscrire à des accords autres que consensuels et unanimistes. Or, il serait bon que chaque État, à son propre rythme, soit invité à s’engager à tel ou tel niveau pour 2015, 2025 ou 2030, par exemple, et à l’afficher clairement de manière publique et mesurable pour se mettre sous l’œil démocratique. Ce serait un progrès formidable.
Et puis il y a tous les autres acteurs, hors des conférences mondiales: énumérons-les rapidement.
INCITER LES COLLECTIVITÉS À SORTIR DE LEUR PÉRIMÈTRE GÉOGRAPHIQ.UE DE COMPÉTENCE
– La vie associative est de plus en plus porteuse de nouvelles aspirations et leurs initiatives sont là pour en témoigner: il y a de nombreuses associations de développement durable, d’environnement, de justice, de paix, et surtout de solidarité – pas seulement humanitaires. Elles sont plus dotées de bonne volonté que de moyens.
– Les collectivités territoriales sont des centaines de milliers dans le monde. On ne s’appuie pas assez sur elles non plus, on reste trop fidèles aux structures centralisées. Pourtant, les collectivités se mobilisent de plus en plus pour des causes planétaires, mais elles pourraient décupler leurs actions. Les « programmes locaux contre l’effet de serre » ne sont pas légions de par le monde, et même la solidarité entre villes en cas de catastrophe est un réflexe bien rare. Il faudrait encourager leur envie récente de sortir de leur périmètre géographique de compétence et les inciter à travailler à plusieurs sur des projets concrets.
DES CONSOMMATEURS DE PLUS EN PLUS INFLUENTS
– Les entreprises sont de vrais acteurs, même si l’on peut contester leur appartenance à la société civile: leur « civisme mondial » est sincère, même s’il n’est pas toujours de bon aloi, et leur action est vraiment très performante quand elles le veulent et quand elles sont poussées par le champ de leurs compétences ou de leurs ambitions. Quelque 2 500 de par le monde, dont 358 pour la France, ont signé le « Global compact », engagement proposé par Kofi Annan; 90 000, dont 3 000 pour la France, ont passé leurs épreuves ISO 14001, mais e ne sont que les entreprises à vocation mondiale qui sont présentes à cette échelle. Il y aurait un gros effort à consentir pour déclencher un effet d’entraînement et associer pleinement tout le monde des industries, et surtout des services.
– Les consommateurs sont aujourd’hui de plus en plus influents et les initiatives en faveur du commerce équitable en sont un signe évident. Mais a-t-on réellement fait, comme on le doit, la place aux associations de consommateurs qui, pourtant, peuvent apporter beaucoup?
La mobilisation des acteurs est un véritable défi: et si l’on veut ajouter à l’ambition, n’y a-t-il pas aussi celle de faire travailler ensemble plusieurs types d’acteurs? C’est ce qu’on appelle le « multipartenariat ». Il en existe peu d’exemples dans le monde.
Cette « mobilisation » ne peut être ordonnée, régentée ou réglementée: elle passe par le volontariat, sans lequel rien ne peut véritablement se jouer en profondeur. Elle donne la main à la démocratie, mais pas n’importe laquelle. La démocratie représentative n’est que l’une des branches. Les formes nouvelles de communication en permettent d’autres. Mais la question est surtout celle de la volonté politique et des lois pour rendre possible l’éclosion d’une vraie participation. Et surtout la focalisation sur des projets, qui réunissent le réalisme possible et l’ambition.
On manque de «fabriques d’utopies concrètes », selon l’expression qu’affectionnait Philippe Viannay. Ce qui signifie fabriquer aussi des courroies d’incitation.
1. Le Plan bleu assume les fonctions de centre d’activités régionales du Plan d’action pour la Méditerranée (PAM), lui-même placé sous l’égide du Programme des Nations unies pour l’environnement.
2. Cheick Anta Diop, Civilisation ou barbarie, Paris, Présence africaine, 1981.