Rencontre : Le défi du développement durable : vers une bio-civilisation – 13 Novembre 2012 Paris
Compte rendu de la rencontre organisée par l’Association Serge Antoine et l’Organisation mondiale de la francophonie
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Ouverture
Louis-Bertrand RAFFOUR
Président de l’association Serge Antoine
Serge Antoine disait « Rio ne se commémore pas mais se cultive ». C’est ce que nous ferons au cours de cette journée consacrée au défi du développement durable au lendemain de la conférence Rio+20. Je remercie l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui nous accueille en ses locaux ainsi qu’Aline Antoine qui est à l’initiative de cet événement.
El Habib BENESSAHRAOUI
Conseiller du secrétaire général de la francophonie
Je suis heureux de vous accueillir à cette journée, en tant que membre de l’OIF et de l’association Serge Antoine. Je suis ému d’évoquer Serge, dont je suis fier d’avoir été l’ami, et qui a su être un acteur à la citoyenneté multiple : locale, nationale, méditerranéenne (en tant qu’acteur du plan bleu), francophone (en tant que membre de l’OIF) mais aussi internationale. Débattre aujourd’hui des enjeux du développement durable à la lumière de la conférence Rio+20 est la meilleure manière de lui rendre hommage.
Clément DUHAIME
Administrateur de l’OIF
Je suis heureux de vous accueillir à l’OIF pour cette journée de débat. Notre organisation est mobilisée pour que la francophonie fasse entendre sa voie en matière de développement durable, dont nous considérons que la culture est le quatrième pilier.
Comme nous, vous avez certainement été déçus par la conférence Rio+20. Mais cet événement a malgré tout permis une nouvelle mobilisation internationale autour du développement durable, 20 ans après la première conférence de Rio. Aujourd’hui, une prise de conscience des enjeux du développement durable est nécessaire pour éviter de voir notre maison brûler1. Mais dans un contexte de crise économique, d’autres domaines d’action sont considérés comme prioritaires.
1 Référence à la phrase prononcée par Jacques Chirac, en tant que Président de la République française, lors du 4e Sommet de la Terre à Johannesburg le 2 septembre 2002 : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »
J’espère que cette journée sera l’occasion de proposer de nouveaux éclairages sur les actions qui doivent être les nôtres au cours des prochaines années. Le défi du développement durable : vers une bio-civilisation – 13 novembre 2012
De Stockholm à Rio+20
Présidence : El Habib BENESSAHRAOUI
1972-2012 : itinéraire à partir des écrits de Serge Antoine
Jacques THEYS
Ancien responsable de la prospective au ministère du Développement durable
Les conférences de Stockholm, Rio et Rio+20 ont rythmé l’évolution des préoccupations en matière de développement durable depuis 40 ans. Elles sont aussi les marqueurs de l’évolution historique et culturelle du monde, puisque la première s’est déroulée en 1972, à la veille du choc pétrolier, la deuxième a eu lieu en 1992, alors que le bloc soviétique venait de s’effondrer et la troisième s’est tenue en 2012, une année qui marque l’entrée dans une nouvelle crise mondiale. Serge Antoine a activement participé à l’organisation des conférences de Stockholm et de Rio et a laissé sur ce sujet de nombreux articles, sur lesquels je me suis appuyé pour bâtir cette intervention.
1972-1992 : de Stockholm à Rio
Selon Serge Antoine, les conférences de Stockholm et de Rio ont toutes deux traité de la question des relations entre développement et environnement. Mais à Stockholm, le développement était considéré comme une condition de l’amélioration de l’environnement, tandis qu’à Rio, le raisonnement était inversé, puisque l’environnement était perçu comme une condition de la mise en oeuvre du développement. A l’époque, la signification de ce dernier terme ne faisait pas consensus, puisque les pays du nord l’assimilaient à l’enjeu de la sortie du mal-développement alors que les pays du sud l’entendaient dans le sens de l’aide au développement.
La conférence de Rio a été porteuse d’avancées par rapport à celle de Stockholm. Ainsi, elle a permis de sortir l’environnement de sa marginalité, en établissant clairement son lien avec le développement. Elle a également marqué la prise de conscience de l’existence de risques globaux. La mobilisation des acteurs (Organisations non gouvernementales – ONG – collectivités locales, entreprises, pays du sud, etc.) à Rio en 1992 a enfin été historique. Mais l’on peut aussi faire état de plusieurs reculs par rapport à 1972. Par exemple, la conservation de la nature n’est plus citée dans la déclaration de Rio et la question démographique y est peu présente. Dans ce texte, l’éducation et la formation ont également perdu leur caractère central. Enfin, les échelles locales et régionales sont marginalisées par rapport aux politiques globales. Et si les ambitions sur lesquelles la conférence a abouti sont de grande ampleur, les moyens de les concrétiser sont incertains. Au vu de ces éléments, pour Serge Antoine, la complémentarité entre Stockholm et Rio est inaboutie.
1992-2012 : de Rio à Rio+20
Dès 1992, Serge Antoine s’est investi pour que les engagements pris à Rio soient tenus. Mais son optimisme a progressivement été remplacé par des inquiétudes croissantes. Ainsi, jusqu’à la fin des années 1990, s’il déplore que les promesses financières de Rio ne seront pas tenues, il note que la préoccupation environnementale est de plus en plus intégrée à toutes les échelles. Ensuite, en 2002, lors du Sommet de Johannesburg, il fait le constat que les progrès en matière de développement durable restent ténus à l’échelle des Etats. En outre, les problématiques de développement ne sont plus reliées aux questions environnementales et appartiennent désormais au giron de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et non de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Enfin, rien n’est fait pour favoriser le développement d’actions régionales. En 2005, dans son article Gouvernance mondiale. Du retard à l’allumage2, il anticipe les échecs de la gouvernance mondiale rencontrés à Rio+20 et propose que le niveau local se substitue aux défaillances du niveau global.
De Rio+20 à une bio-civilisation ?
Serge Antoine ne pouvait pas prévoir que l’économie verte serait au centre des débats de la conférence Rio+20. Ce sujet n’a d’ailleurs pas été au centre de ses écrits, même s’il publie, en 1968, un article intitulé Y aura-t-il une nature en l’an 2000 ?3 La croissance verte consiste à construire de nouveaux marchés en s’appuyant sur les services non-marchands rendus par la nature, et se rapproche ainsi du concept de bio-civilisation, imaginé par Ignacy Sachs4 et qui se situe dans la continuité des évolutions de ces 40 dernières années. La bio-civilisation implique ainsi la redécouverte du niveau local, qui peut contribuer à la gestion de problèmes globaux. Elle concrétise par ailleurs les connexions qui existent entre problèmes de ressources, problèmes de santé et problèmes environnementaux.
Avec la bio-civilisation, une nouvelle étape du développement durable se profile donc. Elle pose cependant deux questions :
– quelle contribution réelle faut-il attendre de cette bio-civilisation en faveur du développement durable (complémentarité ou rupture) ?
– ne se dirige-t-on pas vers une exploitation plus intensive de la nature et ne faut-il pas s’inquiéter du rapprochement entre bio-civilisation et l’utilisation massive des bio-technologies ?
Retour sur Rio+20
Christian BRODHAG
Directeur de recherche, Ecole des Mines de Saint-Etienne et coordonnateur du comité d’organisation francophone de Rio 2012
Les difficultés de la négociation internationale
Le principe de la souveraineté nationale rend impossible la généralisation au niveau international d’un système démocratique similaire à celui qui règne dans les Etats. L’adhésion aux accords internationaux relève toujours d’un engagement volontaire, qui de plus est réversible (par exemple, le Canada a ratifié le protocole de Kyoto, mais ne l’a pas appliqué). Les décisions prises au niveau international sont donc partielles et résultent de processus de négociation longs et complexes. Des groupes de pays qui partagent des priorités identiques se retrouvent parfois en opposition sur certains sujets. Par exemple, la proposition de non-régression du droit de l’environnement, par exemple, proposée par une association de juristes a suscité le soutien du groupe des 77 et l’opposition de l’Europe. Cette dernière craignait que ce concept ne soit ensuite généralisé à d’autres questions, comme l’aide au développement. Au mythe d’un gouvernement exécutif mondial se superpose l’image d’une société civile mondiale, dont la mobilisation est assimilée à une forme de démocratie mondiale. En réalité, à Rio+20, tout s’est joué dans la phase préparatoire de la conférence et non pendant l’évènement. La stratégie des ONG françaises était en décalage avec cette réalité, puisqu’elles se sont concentrées sur l’organisation de leur présence à la conférence, sans être présentes dans le processus préparatoire. Leurs propositions, inaudibles dans le processus réel de négociation mais facilement audibles par les médias ont abouti aux commentaires négatifs que l’on connaît sur la conférence. Par ailleurs, dans les négociations internationales, il faut savoir se contenter d’avancées partielles et lentes. Par exemple, l’article 47 de la déclaration de Rio+20 dans sa première version prévoyait l’obligation pour les entreprises multinationales d’établir un rapport de développement durable. Dans sa version finale, l’obligation est devenue un encouragement5. Doit-on en déduire que le système de gouvernance mondiale est paralysé ? Certainement pas, car les chefs d’Etat disposent de la capacité à négocier et à arbitrer in fine en cas de blocage. Mais à Rio+20, ils ont été relégués à un rôle de potiches et n’ont pas su imposer de leadership politique, puisque la négociation de la conférence s’est conclue la veille de leur arrivée, par l’adoption d’un texte proposé par le Brésil.
Les partenariats qui consistent à tester des solutions à une échelle restreinte, à les évaluer et ensuite à les diffuser, constituent un autre levier de l’évolution des normes au niveau mondial. Par exemple, Arnold Schwarzenegger a créé le R20, une ONG qui rassemble des villes et des régions pour partager leurs expériences afin de réduire les consommations d’énergie et les émissions de Gaz à effet de serre (GES). On assiste par ailleurs à la généralisation des engagements des acteurs privés au nom de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Ces pratiques participent à modifier les conditions des négociations diplomatiques. Les acteurs de la francophonie ont quant à eux mené un processus original de préparation à la conférence Rio+20, en organisant un forum international à Lyon en février 2012. Cet évènement a permis de réunir les propositions d’amendements de la Francophonie au texte « Draft Zero » des Nations Unies dans l’Appel des participants du Forum de Lyon. Cet appel souligne la nécessaire prise en compte de la dimension culturelle du développement durable. Il prône également une vision intégrée et équitable de l’économie verte, dont le développement repose de manière essentielle sur la jeunesse. En matière de gouvernance de développement durable, l’Appel invite à consacrer un principe de non-régression en droit de l’environnement, mais qui n’a pas été repris dans la déclaration finale. Il propose aussi de privilégier les stratégies nationales de développement durable. La déclaration de Rio+20 va dans ce sens mais de manière limitée.
40 ans de négociations sur le développement durable
En 1972, la conférence de Stockholm a réuni autour des problématiques environnementales des gouvernements et des scientifiques. Ces derniers ont ensuite été progressivement écartés des conférences mondiales sur le développement durable. En 1992, le Sommet de Rio a vu arriver dans les négociations de nombreuses ONG. Puis à partir de 1997 s’est fait jour l’importance de l’investissement privé en faveur du développement durable. Ensuite, en 2002, à Johannesburg est apparu le débat sur la consommation et la production durables, mais il ne s’est concrétisé que dix ans plus tard à l’issue du processus de Marrakech. Enfin, en 2012, à Rio+20, le débat s’est concentré autour de l’économie verte. La norme ISO 26000 propose justement une approche opérationnelle pour la mettre en oeuvre, mais elle n’est pas reconnue par le système onusien.
Les éléments clés de la déclaration de Rio+20
Dans la déclaration de Rio+207, la problématique du développement durable est étendue à l’ensemble du système des Nations Unies. Un accord de principe a ainsi été scellé pour que les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) soient renégociés afin d’intégrer le développement durable. De nombreux chantiers ont par ailleurs été ouverts lors de la conférence qui s’est tenue en juin 2012. Il ne faut donc pas y voir un échec, mais rappeler qu’elle s’intègre dans un processus de négociation de long terme, dans lequel tous les acteurs doivent continuer à être présents.
Vers des bio-civilisations ?
[Lecture d’une note d’Ignacy Sachs par Christian Brodhag]
L’extrapolation des tendances lourdes actuelles nous mène à un enchaînement de catastrophes naturelles et sociales : le réchauffement climatique aux conséquences délétères pour les productions alimentaires et les conditions de vie réservées aux humains avec, comme conséquence, l’aggravation des disparités et des luttes sociales. Mais nous pouvons faire mieux en nous attachant à tirer un meilleur parti du potentiel des ressources renouvelables, que contient la diversité des écosystèmes à l’intérieur desquels l’humanité construit ses habitats et ses civilisations plurielles. Nous sommes aujourd’hui 7 milliards d’êtres humains, bien partis pour atteindre les 9 milliards vers 2050. De surcroît, les civilisations humaines se caractérisent par des disparités béantes entre les minorités nanties et la masse de ceux qui naissent, vivent et meurent au bas de la pyramide sociale. Les fortes inégalités qui caractérisent la situation actuelle indiquent le chemin à suivre :
1) Nous ne nous pouvons plus nous dérober à un changement radical dans la répartition des richesses. L’amélioration des conditions de vie des plus défavorisés passe par une limitation des consommations excessives de la part des élites nanties, de préférence consentie par celle-ci pour éviter des conflits sociaux potentiellement destructeurs.
2) Nous devons nous attacher à limiter les émissions de gaz à effet de serre, pour éviter le réchauffement climatique délétère et donc, à réduire notre dépendance par rapport aux énergies fossiles épuisables à terme, et surtout productrices de gaz à effet de serre, à tirer aussi le meilleur parti possible des ressources renouvelables, tout en sachant que la renouvelabilité ne va pas de soi et exige des politiques explicitées de gestion des ressources naturelles.
3) Une stratégie fondée sur les ressources renouvelables doit relever deux défis majeurs
– la sécurité alimentaire, assurée par la production d’aliments qui nous renvoie aux révolutions verte et bleue fortement créatrices d’emplois, mais conditionnées par les réformes agraires et la gestion des ressources aquatique
– la sécurité énergétique, assurée par l’essor de l’ensemble des énergies renouvelables.
4) Au planificateur de répondre à la question « combien est assez ? » pour assurer la sécurité alimentaire et énergétique, et en déduire le temps que la société doit destiner au travail nécessaire à la production des biens matériels et quelles sont les disponibilités de temps libérées pour d’autres activités.
Echanges avec la salle
De la salle : (Julien DOSSIER, directeur de Quattrolibri)Le Sommet mondial des villes durables aura lieu à Nantes en septembre 2013. On perçoit aujourd’hui une effervescence à l’échelle des villes en matière de développement durable, qui provient certainement du fait qu’elles sont plus directement touchées par le changement climatique que les Etats.
De la salle : (Yann GOURIO, Commissariat général au développement durable) En cette période de crise, le développement durable a-t-il encore un avenir ? Il me semble que cette problématique connaît un certain délitement.
Jacques THEYS : On parle aujourd’hui davantage de croissance verte que de développement durable. Pour beaucoup, les deux notions sont équivalentes. En réalité, le développement durable est un concept spécifique, victime d’effacement. En effet, malgré l’existence de la Stratégie nationale de développement durable (SNDD), on ne défend au niveau étatique une conception spécifique du développement durable. Enfin, à mon sens, développement durable et environnement sont également deux notions distinctes qui doivent chacune faire l’objet d’une stratégique dédiée.
Christian BRODHAG : La vision actuelle de l’environnement rejette le développement durable. Celui-ci doit pourtant être un levier pour répondre aux problèmes environnementaux. Par ailleurs, à mon sens, l’existence d’un grand ministère en charge du développement durable garantit que les autres ministères ne s’y intéressent pas, alors qu’il doit pourtant s’agir d’une préoccupation transversale.
De la salle : (Geneviève VERBRUGGE, consultante environnement et développement durable) Les villes ont émergé en tant qu’acteurs du développement durable en 1992, lorsque 300 d’entre elles ont signé l’engagement de Curitiba. Désormais, malgré l’essoufflement des Agendas 21 locaux, le plan local est la seule échelle où se réalise l’intégration du développement durable.Par ailleurs, la notion de développement durable est apparue lors de la conférence de Rio en 1992, pour remplacer le terme « environnement » que le groupe des 77 ne souhaitait pas utiliser. Dans certains pays, notamment en Asie, le développement durable est d’ailleurs encore assimilé à l’environnement. Enfin, je suis très pessimiste quant à la possibilité de négocier en 18 mois des objectifs de développement durable, accompagnés d’indicateurs chiffrés, qui soient compatibles avec la révision des OMD.
El Habib BENESSAHRAOUI : L’accord de principe concernant les objectifs de développement durable est l’une des avancées majeures de la conférence de Rio+20.
De la salle : (Roger CANS, journaliste) L’expression « développement durable » provient en réalité d’une mauvaise traduction de l’expression « sustainable development ». On l’a préférée à celle pourtant plus juste de « développement soutenable ». Aujourd’hui, ce concept est en train de perdre son sens, à force d’être trop utilisé.
El Habib BENESSAHRAOUI : Le développement durable est-il un concept « fourre-tout » ?
De la salle : (Catherine BERGEAL, Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature – DGALN – du Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie – MEDDE) Les aspects paysagers, architecturaux, etc. du développement durable sont laissés de côté au MEDDE. Par ailleurs, on observe aujourd’hui un retour vers le niveau local, pour trouver des solutions aux enjeux de développement durable. A mon sens, l’intégration des échelles est primordiale dans ce domaine. Il faut traiter chaque problème à l’échelle la plus pertinente.
De la salle : (Jean-Pierre PIECHAUD, Association Dossiers et débats pour le développement durable – 4D) Le concept de développement durable est en approfondissement permanent. Par ailleurs, le travail en réseau est essentiel pour travailler en matière de développement durable. C’est en application de ce principe que l’association 4D a animé pendant deux ans le collectif Rio+208.
De la salle : (Christina VON FURSTENBERG, UNESCO) L’UNESCO a beaucoup travaillé sur le concept de développement durable, qui à mon sens, n’a rien d’une notion « fourre-tout ». C’est un concept qui peut sembler insaisissable mais qui devient plus clair une fois que l’on a mené une réflexion épistémologique. A l’UNESCO, nous considérons que le développement durable doit être érigé au même rang que la justice, l’équité, les droits humains, etc.Par ailleurs, alors qu’en 1972, la conférence de Stockholm a réuni des scientifiques et des politiques, la conférence de Rio en 1992 a été caractérisée par l’ouverture de l’assemblée aux ONGs/représentations de la Société civile, un gain démocratique qui forcément rend le dialogue plus complexe. Enfin, depuis la conférence de Johannesburg, on assiste à l’intégration progressive des préoccupations de développement durable dans le secteur privé, mais des progrès sont encore à fournir en matière de respect des droits humains. Pour parvenir à progresser dans les négociations concernant le développement durable, l’UNESCO a mené des recherches ciblées pour analyser les relations entre la production du savoir, y inclus non-scientifique, et les politiques publiques. De fait, afin d’atteindre un objectif de justice sociale, l’élaboration des politiques gagne à être nourrie par les résultats de la science autant que de la pratique. Comment ce savoir est-il répertorié ? Les décideurs obtiennent-ils les informations « adéquates » et les utilisent-ils ? Comment la prise de décision évolue-t-elle à l’ère de la mondialisation et de la dépendance – ou de la méfiance – croissantes à l’égard de la coopération multilatérale et bilatérale ? Des approches nouvelles et alternatives d’une gouvernance pluri-centrique émergent partout, à toutes les échelles. Afin de créer des outils méthodologiques qui facilitent l’utilisation inclusive que feront les décideurs de toutes ces connaissances, nous avons approché le développement durable par trois cadres conceptuels, celui de l’éthique, celui qui s’appuie sur l’analyse scientifique, et finalement, le cadre stratégico-politique qui marie ces deux optiques. Grâce aux outils innovateurs développés par les technologies de l’information, comme par exemple l’analyse sémantique assistée, on parvient à extraire et comparer, selon le besoin de l’utilisateur, des contenus pertinents qui sont d’ores et déjà disponibles dans des banques de données et dépôts institutionnels à accès libre à travers le monde. Les résultats ainsi obtenus peuvent être très étonnants. Enfin, pour que ce croisement des cadres conceptuels impacte les débats politiques, il faut se doter de nouveaux espaces politiques qui décloisonnent les discours, tout en favorisant l’implication des principaux acteurs. L’usage des technologies de l’information permettra de gagner du temps et de rendre plus pertinentes ces grandes négociations internationales. L’OIF pourrait prôner ce type de pratiques.
El Habib BENESSAHRAOUI : L’une des initiatives proposées dans le cadre du Forum de Lyon concerne l’information. Nous fondons beaucoup d’espoirs sur cette initiative.
De la salle : (Claude ROY, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts et président du club des bio-économistes) A mon sens, les fondements de la notion de développement durable ne sont pas ceux du rapport Brundtland, mais les problématiques suivantes :
– la croissance démographique
– le changement climatique
– l’accès aux ressources.
Face à ces défis, l’unique solution est de mettre en place des systèmes très productifs, mais aussi sobres et diversifiés.
De la salle : (Marie CHERON, association 4D) Si la dimension sociale du développement durable a tendance à s’estomper de manière générale, plusieurs initiatives en France se distinguent en la matière. Par ailleurs, le rôle des ONG a été défini en 1992 comme celui d’une interface entre les citoyens et le niveau international. Cette position est difficile à assumer, car elle implique de trouver un juste milieu entre expertise et écoute. Enfin, au sein de l’association 4D, je suis en charge d’une étude sur la transition vers une économie écologique à l’horizon 2050. Après avoir établi un état des lieux, l’objectif de cette étude est d’explorer des pistes pour optimiser la gestion des ressources naturelles d’ici 2050. Nous avons notamment retenu la vision de la bio-civilisation. Ce concept a été récupéré par les mouvements sociaux, qui insistent sur d’autres formes de relations sociales et de relations à l’environnement avec des modes de gestion des ressources plus démocratiques. Cela implique des ruptures économiques importantes, notamment en ce qui concerne les droits de propriété, la conception du collectif, etc.
De la salle : (Dominique MARTIN-FERRARI, journaliste) L’importance croissante de la Chine et du Brésil à l’échelle mondiale bouleverse aujourd’hui l’organisation des relations internationales. Il ne faut pas non plus négliger le rôle des femmes dans les négociations internationales sur le développement durable, car elles étaient très présentes à Rio en juin 2012. Par ailleurs, je regrette l’incapacité à mettre en place une réflexion interscalaire. En matière de développement durable, on se contente de superposer les échelles sans les appréhender dans une vision intégrée.Enfin, ces dernières décennies ont été aussi marquées par la multiplication du nombre de journalistes qui s’intéressent au développement durable. Dans les années 1970, nous n’étions qu’une poignée à nous intéresser à l’environnement, alors que plusieurs milliers de journalistes étaient présents au Sommet de Copenhague en 2009. Or tous ces journalistes ne parlent pas le même langage. Ce manque de communication engendre des problèmes de communication envers le grand public.
De la salle : (Carole HERNANDEZ ZAKINE, Société des agriculteurs de France – SAF)Le développement durable a toujours été présenté aux agriculteurs sous l’aspect environnemental et comme une contrainte. Toutefois, à la SAF, nous le considérons comme un enjeu crucial, qui nécessite de se préoccuper de la gestion de la rareté des ressources. Nous avons notamment mené une réflexion autour de la gestion de l’eau potable, qui est un enjeu à intégrer dans la production agricole. Ce travail a révélé la persistance de l’administration à cantonner le développement durable à l’environnement et à éviter l’approche locale.
De la salle : (Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI) Aujourd’hui, on court après l’élévation du niveau de vie sans se préoccuper de sa qualité. La force de notre planète réside dans sa diversité, mais il manque aujourd’hui une unité autour de cet enjeu. Pour atteindre la bio-civilisation, nous ne devons pas faire une révolution de nos modes production et de consommation, mais les métamorphoser. Dans ce cadre, les terroirs sont un levier d’action.
Jacques THEYS : La conférence de Rio+20 a réuni plus de 45 000 personnes pour produire un texte finalement décevant. N’oublions pas toutefois que les 20 dernières années ont amené des changements historiques en matière de développement durable. Il faut valoriser ces évolutions tout en restant lucide sur le temps qui passe.Ensuite, rappelons qu’un développement soutenable ne concerne pas que l’environnement. Il implique également d’apporter des réponses aux problèmes sociaux, par exemple.Enfin, l’articulation des échelles (celle des villes et celle des Etats notamment) est aujourd’hui fondamentale pour permettre des avancées concrètes.
Christian BORDHAG : A mon sens, l’environnement, l’économie, la dimension sociale et la culture ne sont pas à situer au même niveau en tant que composants du développement durable. En effet, l’environnement est une condition du développement durable, tandis que le social en est un objectif et l’économie, un moyen. La culture enfin en est l’identité. Par ailleurs, la multiplication du nombre d’acteurs impliqués dans les négociations internationales concernant le développement durable entraîne une complexification de ce processus. A cela s’ajoute la nécessité d’une gestion optimale des biens communs, qui conduit à l’émergence de nouveaux modèles mentaux que porte le développement durable.
Vers un nouveau modèle de développement
Présidence : Hugues de JOUVENEL
Hugues de JOUVENEL
président-délégué général de Futuribles International
Je rappelle qu’en 1972, lors de la première conférence mondiale sur l’environnement, et alors que le premier rapport au Club de Rome sur « Les limites à la croissance » venait d’être publié, la problématique du développement durable (même si ce concept n’était pas encore dominant) était déjà posée. Depuis lors, hélas, se sont écoulées quarante années sans que les mesures adéquates soient adoptées pour nous orienter vers des stratégies de développement plus économes en ressources naturelles et moins agressives vis-à-vis de l’écosystème. Aujourd’hui, les pays en développement s’invitent au banquet de la planète, en suivant le modèle des pays développés. Cette situation ne fait qu’accroître la consommation de ressources rares (eau, terres agricoles, énergies d’origine fossile…) ainsi que la production de pollutions et de nuisances menaçant gravement l’écosystème, le changement climatique étant emblématique de ce phénomène. Cette situation n’est pas tenable et les pays développés, en particulier en Europe, se doivent de jouer désormais un rôle pionnier sur la question des styles de développement et des modes de vie. Il est urgent de relever ce défi sans attendre encore quarante ans et nous trouver alors confrontés à une situation compromettant gravement notre écosystème. L’objet de cette table ronde est donc de dégager quelques lignes d’action pour relever ce défi.
Eau, sécurité alimentaire et bio-civilisation
Guillaume BENOIT
Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts et ancien directeur du Plan bleu
Eau et sécurité alimentaire : deux enjeux interdépendants – La mise en oeuvre de la bio-civilisation implique un changement radical de paradigme. Mais elle est indispensable pour relever le défi de la sécurité alimentaire, particulièrement crucial alors que l’on prévoit que la planète compte 1 milliard d’êtres humains supplémentaires d’ici 2025. L’enjeu de la préservation des ressources en eau est intrinsèquement lié à ce défi, puisque 70 % de l’eau prélevée dans les nappes phréatiques est destinée à l’agriculture. Par ailleurs, malgré une forte urbanisation, la population agricole reste nombreuse à l’échelle mondiale. Elle est néanmoins marginalisée et plus pauvre que la population urbaine.
Les ressources en eau sont inégalement réparties à l’échelle du globe. L’accès à l’eau est d’autant plus difficile dans les zones sèches (Afrique du nord et Moyen-Orient, Afrique subsaharienne et Asie du sud-est notamment) que ce sont celles qui connaissent la plus forte croissance démographique. Cette situation entraîne une dépendance alimentaire accrue pour les pays des zones sèches. Ainsi, l’Egypte importait 30 000 tonnes de blé par an en 1939, contre 10,4 millions de tonnes aujourd’hui. On peut se demander si cette situa tion n’engendrera à l’avenir des déplacements massifs de population.
D’autres problèmes menacent la sécurité alimentaire : l’érosion des sols qui entraîne des pertes de rendement (en Inde et en Chine, par exemple), la salinisation des sols (comme en Irak), la surexploitation des nappes phréatiques qui pèse sur la pérennité de la ressource en eau ou encore l’étalement urbain, qui entra îne la réduction de la surface agricole (en France, par exemple). Des déséquilibres territoriaux existent également à l’échelle des pays, entre des littoraux très urbanisés et des arrière-pays mieux préservés mais marginalisés.
S’engager sur le chemin d’une nouvelle bio-civilisation
Pour s’engager sur le chemin d’une nouvelle bio-civilisation, le premier impératif est de produire plus et mieux. Plusieurs solutions s’offrent à nous pour atteindre cet objectif. Le Système de riziculture intensive (SRI) s’est par exemple développé dans de nombreux pays d’Asie. Il permet d’accroître de presque 50 % les rendements, d’économiser 40 % d’eau et d’augmenter de 68 % les revenus tirés de chaque hectare. Les méthodes d’agriculture de conservation (couverture permanente, rotation des cultures et minimisation du travail du sol) contribuent aussi à préserver les eaux et les sols. En France, l’agroforesterie contribue à limiter l’érosion des sols et la pollution de l’eau, et à accroître la productivité agricole. (L’agroforesterie désigne l’association d’arbres et de cultures ou d’animaux sur une même parcelle agricole, en bordure ou en plein champ (source : Association française d’agroforesterie). Pour en savoir plus : http://www.agroforesterie.fr/index.php) Ensuite, il est nécessaire de répondre à l’enjeu de gestion de l’eau en tant que bien commun. Les travaux d’Elinor Oström démontrent qu’il est possible d’instaurer une coopération profitable à tous en matière de gestion des communs, sous réserve de l’établir à la bonne échelle. Par exemple, au Cambodge, la ressource en eau dans la région des Prey Nup est gérée par la Communauté d’usagers des polders, qui est élue. Grâce à elle, les rendements des terres agricoles ont été multipliés par 2,5.
De nouvelles politiques agricoles sont également un levier pour atteindre la bio-civilisation. Par exemple, l’Etat vietnamien a mené une politique d’appui aux nombreuses micro-exploitations du pays, qui a permis de doubler leur rendement en 20 ans. Enfin, la bio-civilisation nécessite d’envisager l’emboîtement des échelles (locale, régionale, nationale, macro-régionale et mondiale).
Conclusion
En conclusion, pour répondre aux besoins en alimentation du futur, il est nécessaire de mettre en place des écosystèmes plus productifs, de penser et d’agir en systèmes et d’innover sur tous les plans (agronomique, social, technologique, etc.).
Les terroirs comme modèle de gouvernance des ressources biologiques et naturelles
Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI
Ecologue et agricultrice marocaine
Définition : Un terroir est un ensemble territorial complexe, qui est le fruit d’interactions multiples entre nature et culture (écosystèmes conservés, services écologiques, originalité, typicité, savoir-faire). Il est à la base de la survie économique et culturelle de toute une population en fournissant des ressources (énergies, nourriture, eau, pâturage, sols) pour la subsistance et les revenus. De plus, il repose sur une gestion adaptative et une grande capacité à répondre de façon flexible aux changements. En somme, c’est un espace vivant et innovant, en constante évolution.
Des exemples de terroirs au Maroc : Le premier exemple de terroir concerne le douar d’Aït Tamejjoute, qui est situé dans le haut Atlas, une région où les précipitations sont faibles. Le fonctionnement de ce douar repose sur la solidarité entre agriculteurs. Il présente un système agrosylvopastoral parfait. La production agricole du douar est réservée en priorité à l’auto-consommation, puis le surplus est écoulé dans le souk le plus proche. Ce terroir a été façonné par des hommes et des femmes qui ont su faire preuve de débrouillardise et utiliser à bon escient l’héritage de leurs ancêtres. Ensemble, ils ont créé un terroir diversifié qui assure leur bien-être.
Le deuxième exemple de terroir concerne le terrain privé de Shoul, que j’ai acheté pour y faire renaître un terroir. Ce terrain, au départ complètement aride, se situe dans une région où ont été pratiqués la céréaliculture et l’élevage à outrance. Un travail important de réhabilitation des sols et d’installation d’un système de récupération des eaux pluviales a dans un premier temps été indispensable. Aujourd’hui, ce terrain de 2,5 hectares accueille des cultures diversifiées (céréales, plantes aromatiques et médicinales, etc.) et fait vivre cinq familles rurales. Son fonctionnement repose sur un système d’autogestion et d’autofinancement.
Enfin, le troisième exemple de terroir concerne la zone de Brikcha, située dans la région de Chefchaouen-Ouezzane au nord du Maroc, connue pour être le château d’eau du pays mais aujourd’hui en pleine désertification. En tant que bénévole, j’ai participé à un t ravail d’animation et d’encadrement des agriculteurs, pour les aider à réhabiliter leur terroir. Aujourd’hui, plus de 30 agriculteurs de Brikcha cultivent leurs terrains en suivant les méthodes de l’agro-écologie. La commercialisation de leur production repose sur un système de garantie participative.
Un chemin vers la bio-civilisation
Les terroirs constituent un chemin vers la bio-civilisation, car ils sont des oasis qui permettent d’endiguer la perte de la biodiversité. Ce sont des lieux où l’humain et la nature comptent davantage que le profit et qui participent à la sécurité et à la souveraineté alimentaires des territoires.
Echanges avec la salle
Hugues de JOUVENEL: Les terroirs peuvent-ils résoudre le problème de l’alimentation d’une population de plus en plus urbaine ? Par ailleurs, qu’est-ce qu’un système de garantie participative ?
Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI : Un système de garantie participative repose sur un contrat moral entre un producteur et un consommateur, lui-même fondé sur une confiance réciproque. Les terroirs assurent l’auto-suffisance alimentaire de leur population. Mais il existe aussi une forte demande d’urbains qui souhaitent se fournir en produits alimentaires dans les terroirs.
Julien DOSSIER : La question d’Hugues de Jouvenel contient deux présupposés : d’une part, la population urbaine restera en ville et d’autre part, il existe une dichotomie profonde entre milieu urbain et milieu rural. Mais rien ne garantit que ces deux hypothèses se confirment à l’avenir.
Jacques THEYS : Peut-on faire renaître des solidarités pour créer de nouveaux terroirs ?
Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI :Oui, c’est que nous avons fait à Shoul, grâce à l’animation des acteurs locaux.
De la salle : Quelle est la moyenne d’âge de la population de ces terroirs marocains ? Les jeunes n’aspirent-ils pas à autre chose que cette vie rurale ?
Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI : De nombreux jeunes reviennent à l’agriculture après un exode rural, afin de satisfaire une recherche de bien-être.
Guillaume BENOIT : Dans les Hauts de l’île de La Réunion, pour faire face à l’enjeu de maintien de l’équilibre rural, un travail d’animation des agriculteurs a été engagé dans le cadre d’une commande publique. Aujourd’hui, comme la méthode a fait ses preuves, d’autres agriculteurs souhaitent rejoindre la démarche.
Christian BRODHAG : La notion de terroir souffre d’oubli. Il faudrait s’en emparer, par exemple dans le cadre de la Francophonie, pour la développer.
Hugues de JOUVENEL : Est-il vrai que le Maroc exporte des matières brutes et importe des produits manufacturés ?
El Habib BENESSAHRAOUI : La stratégie du Maroc consistant à exporter des matières brutes et à importer des produits manufacturés a eu des effets pervers, car le pays ne produit pas ce dont il a besoin. En effet, malgré les efforts en faveur du développement agricole, le Maroc doit encore importer des céréales pour nourrir sa population. En outre, les tomates et les clémentines sont deux produits d’exportation qui ont donné lieu à de très lourds investissements agricoles, mais dont les bénéfices profitent aux consommateurs étrangers.
De la salle (Catherine BERGEAL) : Les paysages des Causses et des Cévennes sont inscrits depuis 2011 à la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Pour y parvenir, nous avons dû montrer qu’il existe sur ce territoire un engagement de la société à faire préserver le caractère exceptionnel de ce site. Il faut désormais inscrire cet engagement dans la durée, notamment au travers de son appropriation par la population locale.
De la salle (Jean-Pierre PIECHAUD) : Bénéficiez-vous d’un appui politique pour développer ces terroirs au Maroc ?
Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI : C’est avant tout la société civile qui porte ces projets. Celui de Shoul a été engagé à titre privé, tandis que celui de Brikcha a bénéficié du soutien de l’Agence française de développement (AFD) et du programme de micro-financement du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Les collectivités locales se réjouissent de la réussite de ces initiatives mais n’y participent pas.
Guillaume BENOIT : Je m’inscris en faux de cette vision selon laquelle le Maroc a abandonné la production de céréales. Comme d’autres pays du sud, il a été très protecteur envers la production de céréales. En revanche, il est exact que les politiques agricoles ont favorisé le développement de la culture de l’huile de graines au détriment de celle de l’huile d’olive, ce qui entraîne une perte de la culture méditerranéenne.
Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI : Les producteurs sont très attachés à la culture des céréales, car ces dernières sont l’ingrédient de base du pain.
Villes post-carbone : l’exemple de Fontainebleau
Julien DOSSIER
Directeur de Quattrolibri
En France, depuis 1990, les émissions de carbone ont diminué de 53 millions de tonnes. Mais l’essentiel du chemin reste encore à parcourir, puisque pour atteindre les objectifs du facteur 4 d’ici 2050, les émissions CO2 devront encore diminuer de 354 millions de tonnes. Dans ce contexte, le BETA Programme®11 vise à mobiliser l’ensemble des parties prenantes des villes satellites de métropoles dans une perspective de relocalisation des filières d’emplois et afin d’optimiser la valorisation durable des ressources locales.(Pour connaître tous les détails du BETA Programme® : http://betaprogramme.org/)
Le BETA Programme® s’appuie sur une recherche-action menée sur le territoire de Fontainebleau, qui est une ville satellite de Paris. Elle regroupe 50 000 habitants, mais draine aussi un flux touristique important : son château attire 400 000 visiteurs et la forêt qui l’entoure environ 17 millions de promeneurs par an. Sur le plan du développement durable, cette fréquentation touristique pose problème puisqu’une consommation accrue de carburant en est la première conséquence. En outre, Fontainebleau souffre de l’attractivité de la capitale. Elle manque de dynamisme et ses habitants sont donc contraints de s’éloigner de leur domicile pour trouver un emploi. Mais, le fait de devoir se rendre en voiture sur son lieu de travail crée une dépendance par rapport à ce mode de déplacement, auquel on recourt alors également pour aller faire ses courses, par exemple. Les petits commerces de proximité sont alors délaissés au profit des supermarchés qui offrent davantage de possibilités de stationnement. Mais il en résulte un déclin supplémentaire du commerce local, la perte d’emplois locaux et donc la nécessité pour les habitants de Fontainebleau de s’éloigner encore davantage de leur lieu de résidence pour travailler.
Pour rompre le cercle vicieux dont les villes-satellites comme Fontainebleau sont prisonnières, mais aussi pour atteindre les objectifs du facteur 4, le BETA Programme® propose de mobiliser l’ensemble des parties prenantes du territoire autour de quatre domaines fortement émetteurs de CO2 : les bâtiments, l’emploi, les transports et l’alimentation. Ce programme part du principe que les villes-satellites peuvent porter la dynamique de transition vers un monde post-carbone car elles sont très nombreuses. Les actions mises en place dans ces villes peuvent en effet avoir un effet aussi important que celui des actions portées par les grandes villes, qui concentrent en général tous les efforts.
Le BETA Programme® se veut accessible à tous, inclusif et transposable12. Il s’articule autour d’actions dont la mise en oeuvre est prévue selon trois échelles de temps (0-1 an, 1-5 ans et 5-10 ans). Tous les acteurs du territoire peuvent s’impliquer dans le BETA Programme®, mais une première action des grands comptes locaux garantit des retombées significatives et peut avoir un rôle d’entraînement. A Fontainebleau, ce rôle pourrait être joué par l’hôpital qui est le premier employeur de la ville.
(Dans une perspective de réplication du BETA Programme®, Quattrolibri a formé un échantillon de 144 villes-satellites en s’appuyant sur deux critères : le nombre d’habitants (entre 10 000 et 50 000 personnes) et la discontinuité urbaine avec l’agglomération).
Le sujet alimentaire au coeur du développement durable
Jean-Pierre DARDAUD
Collectif « Alimentons 2012 », membre du réseau JINOV
En France, on perçoit depuis peu un regain d’intérêt de la jeunesse pour la production alimentaire. Par exemple, en Bretagne, plus de 500 jeunes attendent d’avoir la possibilité de s’installer en tant qu’agriculteurs. Plus qu’un projet professionnel, ces jeunes font du développement durable un enjeu également personnel et citoyen. Par ailleurs, en Inde, plus de 50 000 personnes ont participé en octobre 2012 à la marche des paysans sans-terre, pour demander au gouvernement une redistribution équitable des terres. Sans lopin de terre à cultiver, ces paysans ne peuvent pas subvenir à leurs besoins alimentaires. En raison de leur mode de vie simple et économe en ressources, ils sont porteurs d’une culture de développement durable. En France, comme en Inde, on pourrait s’attendre à ce que les institutions accordent un minimum d’attention à ces acteurs porteurs du développement durable, mais ce n’est pas le cas. La présence d’obstacles à surmonter par ceux qui souhaitent devenir agriculteurs pose donc la question de la démocratie, au travers de la problématique du droit d’accès à la terre et à ses métiers. Par ailleurs, la démocratie est stratégique pour le développement durable, puisqu’il serait profitable que de plus en plus de personnes s’y intéressent. Or les grandes rencontres institutionnelles consacrées au développement durable sont aujourd’hui déconnectées de la vie quotidienne des populations. Le développement durable a donc tout intérêt à porter la démocratie, pour élargir la base sociale qui elle-même le porte.
De plus, la démocratie permet de construire des compromis durables, à l’échelle collective, pour articuler les problématiques environnementale, économique et sociale du développement durable. La démocratie est aussi un espace d’accueil pour la diversité qui découle notamment de la nécessité de s’adapter à chaque contexte. Enfin, le développement durable ne pourra se réaliser qu’avec des acteurs responsables, capables de faire la synthèse entre intérêt personnel et intérêt général, bien privé et bien commun, etc. Or la démocratie participe a créé une dynamique de réflexion et d’action qui va dans ce sens.
Si la démocratie participe à l’essor du développement durable, ce dernier, notamment au travers de l’alimentation, peut également contribuer à renforcer la démocratie. En effet, l’alimentation est source de « nous », car c’est un sujet qui nous concerne tous, au travers de la faim mais aussi de savoir-faire, de goûts, de souvenirs, etc. Ensuite, l’alimentation en tant qu’enjeu vital, est capable de questionner les ressorts d’autonomie de chacun d’entre nous. La souveraineté alimentaire peut ainsi s’envisager à tous les niveaux : de l’Etat à l’individu. Enfin, l’alimentation en tant qu’elle assure le maintien de toute espèce, est peut-être ainsi l’une des bases les plus durables de tout engagement. On peut alors voir dans l’alimentation un levier de mobilisation en faveur du développement durable.
Biomasse et bio-économie
Claude ROY
Ingénieur général des ponts et des forêts, président du club des bio-économistes
Outre l’accroissement démographique mondial, le 21e siècle confrontera l’humanité à trois défis majeurs : celui de l’eau et de l’alimentation13, celui de l’énergie14 et celui du changement climatique. Seules trois solutions mises en oeuvre simultanément permettront de relever ces défis. Tout d’abord, il est nécessaire de réduire les consommations d’énergies et de matières premières dans tous les domaines. Ensuite, il est indispensable de remplacer les sources d’énergie et de matières premières fossiles, notamment par les bioénergies, les biomatériaux, etc.. Enfin, il est impératif d’accroître la séquestration du carbone, grâce à l’action de la filière bois, de celle des agro-matériaux, etc.
La valorisation accrue, intelligente et durable des fruits de la photosynthèse, c’est-à-dire de la biomasse, et donc de l’agriculture, de la forêt et des biodéchets, intervient pour la mise en oeuvre de ces trois solutions. Autrement dit, une agriculture et une sylviculture productives, sobres et diversifiées, constituent les meilleurs remparts contre le changement climatique, aux côtés des économies d’énergie et des innovations technologiques et organisationnelles. La bio-économie permettra en effet de parcourir un tiers du chemin qui nous sépare de l’ère de l’après-pétrole et un tiers de celui qui nous sépare de l’atteinte du facteur 4. La biomasse regroupe six types de ressources : les biodéchets et les sous-produits organiques ; les déchets et les sous-produits cellulosiques fatals ; le bois et ses assimilés ; les productions cellulosiques dédiées, agricoles, ou forestières ; les cultures alimentaires ; et la biomasse aquatique et marine. En face des ressources se trouvent huit marchés qui répondent à des usages primaires non directement énergétiques (l’amendement organique des sols ; l’alimentation ; les matériaux renouvelables traditionnels ; les néo-bio-matériaux, et la chimie du végétal) ou à des usages énergétiques (les bio-carburants ; la bio-chaleur et le biogaz ; et la bio-électricité cogénérée).
Aujourd’hui, en France, la biomasse représente 5 % des marchés de l’énergie, des matériaux et de la chimie. L’objectif est d’atteindre une proportion de 10 % en 2020 puis de 20 % en 2050. La réalisation de cette feuille de route repose à 60 % sur la filière forêt et bois, à 30 % sur l’agriculture et à 10 % sur les biodéchets. L’enjeu sera donc de mobiliser ces ressources et d’assurer leur renouvellement, grâce à un comportement sobre et diversifié. Par ailleurs se pose également la problématique de l’espace disponible pour produire la biomasse : en France, d’ici 2050, il faudrait consacrer 5 millions d’hectares d’espaces agricoles et forestiers à des productions économiques dédiés et environ 2 millions d’hectares de surfaces essentiellement agricoles à la chimie du végétal, dans une Surface agricole utile (SAU) de 30 millions d’hectares. Il s’agit finalement de recomposer une situation déjà rencontrée dans le passé, puisqu’au début du 20e siècle, les « cultures énergétiques » (fourrages pour les animaux de trait) représentaient plus de 20 % de la SAU française.
Enfin, notons que les filières de la bio-économie sont porteuses d’emploi non-délocalisables. Par exemple, la filière bois-paille représente un potentiel de 30 000 emplois supplémentaires d’ici 2020. De plus, ces filières créent une double valeur : la valeur du produit et la valeur des émissions de CO2 évitées. Malheureusement, la filière du carbone vert reste aujourd’hui mal comprise. Les expressions « forêts productives » et « agriculture énergétique » choquent à tort encoure beaucoup de personnes.
Echanges avec la salle
De la salle : (Henri JAFFEUX – Association pour l’histoire de la protection de la nature (AHPNE)) Votre raisonnement ne tient pas compte de la pression que subiront les écosystèmes dans votre modèle.
Claude ROY : Le modèle de la bio-économie ne porte pas préjudice aux écosystèmes, car il repose sur la diversité et la sobriété des méthodes mises en place. En outre, la nature est faite pour être cultivée et maîtrisée.
Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI :Quel est le coût de la perte en biodiversité induite par la bio-économie ?
Claude ROY : Le modèle de la bio-économie n’a pas un impact négatif sur la biodiversité, au contraire il contribue à l’enrichir.
Zineb BENRAHMOUNE IDRISSI : A mon sens, la bio-économie n’implique pas de rupture de notre mode de vie. Pourtant, aujourd’hui, nous devons transformer nos habitudes. Si nous nous organisons autrement, si nous partageons l’espace et les ressources dont nous disposons de manière équitable, alors nous pourrons toujours vivre tous ensemble sur la Terre.
Claude ROY : Ce ne sera pas possible avec 9 milliards d’habitants sur la planète.
Guillaume BENOIT : A mon sens, les terroirs et la bio-économie ne sont pas des solutions incompatibles. Elles permettent toutes deux d’allier productivité et diversité. Par ailleurs, il est certain que l’on ne pourra pas relever le défi de la sécurité alimentaire sans créer une nouvelle alliance entre productivité et écosystèmes.
Claude ROY : Il ne faut pas hésiter à valoriser la nature, à condition de respecter certaines règles de bon sens (sobriété et diversité).
Hugues de JOUVENEL : Je remercie les participants et les intervenants de cette journée pour leur présence, mais aussi l’OIF pour son accueil et l’association Serge Antoine pour l’organisation de cet évènement.